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Île Maurice - Carnet de route
Carnet de route : sur les traces de Pierre Poivre (1719-1786), biologiste du Roy. | Par Véronique Pommeret
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Il est des hommes dont on peut dire qu'ils ont l'âme voyageuse. Comme Pierre Poivre. Ce séminariste lyonnais part évangéliser en Extrême-Orient et se retrouve injustement emprisonné en Chine. Il apprend le chinois pour présenter sa défense devant le vice-roi de Canton. Libéré, il reste 4 années dans le pays, voyage et s'intéresse au commerce et à l'agriculture. Tout bien réfléchi, l'aventure est plus à son goût que la prêtrise. Pourtant, vient le moment de rentrer en France pour y recevoir l'ordination. Le bateau sur lequel il navigue est pris d'assaut par les Anglais. Dans la bataille, il perd la main droite, la liberté et — à tout jamais — sa vocation. Laissé à Jakarta (qui s'appelait alors Batavia), il a tout le loisir d'observer les Hollandais dans leur commerce d'épices, ce qui lui donne quelques idées…
À l'époque, les Hollandais ont le monopole du commerce des épices qui se vendent à prix d'or. Pourquoi ne pas leur ravir une part du marché ? Il suffirait de cultiver les précieuses plantes sur un territoire français. Plus facile à dire qu'à faire. Tout à ses réflexions, il se rend à Pondichéry où il rencontre Mahé de la Bourdonnais, rentre avec lui à l'Île de France (Île Maurice) et trouve ainsi le lieu idéal où cultiver cet or en branche. En France, il expose ses projets, accueillis favorablement, et repart avec la mission secrète de voler les épices aux Hollandais. Après bien des péripéties, il débarque le 2 décembre 1753 à l'Île de France avec quelques plants de muscadiers et de girofliers.
Port-Louis, porte de l'Océan Indien
Dieu merci, mon voyage n'a pas été aussi éprouvant pour arriver jusqu'à Port-Louis, même si l'aéroport se trouve sur la côte opposée de l'île. Bien sûr, je regrette de ne pas approcher par la mer l'île verdoyante, mais la traverser de part en part et découvrir en avant-première ses paysages d'île prospère, née de volcans, me console un peu — d'autant que je souffre du mal de mer. Port-Louis est la capitale de Maurice et sa porte sur l'Océan Indien. À l'époque où Pierre Poivre débarque sur l'île, Port-Louis sert de relais aux navires entre l'Europe et l'Asie. Un point stratégique. Une ville administrative et commerçante qui a évolué depuis, bien sûr, et qui a peut-être perdu un peu de sa superbe, mais qui garde des traces de l'architecture coloniale française du XVIIIe siècle. De belles maisons de bois, à un étage, avec tout au long un balcon bordé d'une frange de dentelle de bois. Et partout des temples hindous, on dirait des illustrations d'un conte indien tant ils sont colorés, chargés de détails. Certains ressemblent à des pièces montées, ou à des boites qui sortent de boites qui sortent de boites…
Je m'attarde un peu au marché couvert. C'est un patchwork de couleurs, d'odeurs, de fruits exotiques, d'épices, de poissons de toutes sortes, à en avoir la tête qui tourne. Une scène de la vie mauricienne, où se mélangent les Indiens, les Créoles, les Asiatiques et les Européens qui constituent la population de l'île. Puis je me dirige enfin vers le port, d'où je verrai peut-être le navire de Pierre Poivre… En tout cas, je vois la citadelle, forteresse qu'il n'a pas connue puisqu'elle n'a été construite qu'en 1838. Au Nord de Port-Louis, Grande Baie offre aux touristes, installés dans les bungalows d'hôtels qui ont tout pour faire rêver, ses plages et ses eaux bleu lagon. De belles idées de farniente me feraient presque oublier ce pour quoi je suis venu à Maurice : retrouver le trésor de Pierre Poivre. Je suis chasseur de trésors. Et il est temps de me mettre au travail.
Le Jardin de Pamplemousses
Pierre Poivre plante ses précieuses boutures dans le jardin de l'ancienne demeure du gouverneur de l'île, Mahé de la Bourdonnais. Le domaine de Mont-Plaisir deviendra le Jardin de Pamplemousses, avant d'être rebaptisé (à l'indépendance, après 1968) Jardin Botanique Sir Seewoosagur Ramgodan. Le parc, enrichi tout au long de l'histoire de l'île, est aujourd'hui un des plus grands et des plus beaux du monde. Et, accessoirement, ma prochaine destination. Par acquis de conscience, après avoir longé des champs de canne à sucre, je fais une étape dans le cimetière marin emmitouflé de vert, où bien des pirates se
reposent de leurs derniers combats. Batailles navales pour des sacs de clous. Je ne regrette pas cet hommage rendu aux aventuriers dont j'envie le courage et les trésors imaginés. Puis, de rencontres en sourires, je me retrouve aux portes de l'Eden prometteur de fraîcheur acidulée : le Jardin de Pamplemousses.
Si l'Île Maurice est le jardin de l'Océan Indien, Pamplemousses en est le cœur vivant. Il faut s'enfoncer dans ses allées pour recommencer à croire au paradis terrestre. Et pour se laisser aller au lyrisme… Se perdre parmi les palmiers venus du monde entier, les essences précieuses, les arbres fruitiers, les épices. Voir, pour le croire, ces plantes démesurées, comme les banians aux branches-racines, les fromagers qui étendent leurs mains au-dessus du promeneur, et les nénuphars aux feuilles immenses, capables — dit-on — de supporter le poids d'un enfant, et dont les fleurs changent de teinte le soir avant de mourir… Rencontrer, comme en rêve, au détour d'un chemin un cerf qui se repose du soleil, ou une tortue géante qui promène lentement sa dignité de propriétaire. Ecouter les centaines d'oiseaux dans le bruissement des feuillages. Et comprendre alors qu'on a trouvé le trésor de Pierre Poivre : un joyau végétal.
J'ai l'air malin avec mes idées de caisses pleines de pierres : c'est de poivre et d'or vert qu'il s'agit. Je reprends mon chemin, légèrement titubant, enivré encore par ma découverte. Je rentre à Port-Louis pour y admirer le coucher de soleil. Demain, je partirai à la recherche des trésors que l'île me réserve encore.
Véronique Pommeret